Conte de Norvège: l'histoire de Nils et Kari

Publié le 21 Avril 2014

Il était une fois un homme et une femme qui vivaient dans le grand nord norvégien, en Laponie. Lui s’appelait Nils, et elle, Kari. Tous deux étaient éleveurs de rennes et faisaient partie du peuple des Sami.

C’était bientôt la fin de la longue nuit, cet hiver où le soleil n’apparaît pas pendant plusieurs mois. Dans quelques jours, ils regrouperaient les troupeaux et feraient route vers les pâturages estivaux. Mais avant cela, c’était les retrouvailles, le « Grand rassemblement ». Tous les membres du clan allaient se retrouver dans un petit village, dont je tairai le nom, pour y festoyer. Le « Grand rassemblement », c’était l’occasion de renouer quelques amitiés, ou commencer une histoire d’amour. C’était le temps des retrouvailles, des petites histoires et des grands ragots. Kari allait, comme tous les ans, participer à des joutes de yoic, tandis que Nils se réjouissait déjà du concours de pêche, couché des heures sur la glace.

Nils et Kari avaient planté leur lavu parmi les autres. Ah, le lavu. Le cœur du monde pour les Sami. Le lavu est une tente, avec de longues perches. Sur le sol, on y jette des brassées de branches de bouleau nain, afin de s’isoler de la neige. Au centre, c’est le foyer, qui rassemble, qui réchauffe, qui rassure.

Et cette année, au « Grand rassemblement », il y avait même des étrangers. Il y en avait deux. Ils disaient venir d’un petit pays, bien lointain, la Suisse. Lui arborait fièrement une barbe broussailleuse. Elle, on la reconnaissait à son rire cristallin. Mais vous savez comment sont les étrangers… ils sont étranges. Et ceux-ci vivaient dans un petit camion, plutôt que sous le lavu.

Cependant la fête n’a qu’un temps. Et déjà, on séparait les rennes pour reformer les troupeaux. Pendant l’hiver, les bêtes, libres, s’étaient mélangées. Nils et Kari n’avaient aucune difficulté à reconnaître leurs bêtes, toutes ornées de trois fils de laine rouge à l’oreille gauche.

Et ils sont partis, droit vers l’est. A marcher, du matin jusqu’au soir. Il s’arrêtaient pour se reposer, puis reprenaient leur marche, toujours dans la longue nuit. A l’horizon, on apercevait pourtant déjà une pâleur, mais pas encore le soleil.

Un jour, le troupeau s’arrête. Les voilà arrivés. Nils attrape la plus belle bête du troupeau, la nettoie, et l’orne de grelots et autres babioles multicolores. Il s’en va, comme tous les ans, vers le sud, pour y vendre sa bête. Grâce à l’argent qu’il en tirera, il pourra acheter du café, du sucre, d’autres objets qui leur font défaut.

Il en a pour plusieurs jours de marche. Au milieu du deuxième jour, son renne heurte une pierre. Là-haut, les pierres ont la fâcheuse tendance à pousser au milieu des chemins. Ce n’est pas bien grave mais la bête boîte, et ça n’arrange pas les affaires de Nils. Il s’assied pour réfléchir lorsqu’arrive un homme, tenant au bout d’une corde un cheval. Après s’être salués et avoir discuté un peu, l’homme au cheval dit à Nils :

« Cette année, ne vends pas ton renne. Echange-le moi contre mon beau cheval. »

Top là, marché conclu. Nils reprend le chemin du retour, en tirant derrière lui un cheval. Mais le cheval marche doucement, trébuche à toutes les aspérités de la route, a le pas hésitant. Il faut se rendre à l’évidence, son cheval est aveugle.

« Pauvre cheval ! » pense Nils. « Le chemin est encore long alors qu’il n’y voit rien. »

Il en est dans ces réflexions lorsqu’il croise une femme qui promène, au bout d’une corde, une vache, bien grasse.

Après s’être salués et avoir bavardé un peu, la femme dit à Nils : « Je n’habite pas loin, et j’aurai bien besoin d’un cheval, même aveugle, pour m’aider dans les lourdes tâches. Echange-le moi contre ma vache. »

Top là, marché conclu. Nils continue sa route, tirant une vache au bout d’une corde.

Et voilà que la vache se met à péter, à péter et à repêter. Le pauvre animal fait de l’aérophagie. Après quelques heures de marche, Nils n’en peut plus. Sa vache, il ne peut plus la sentir. Sur le bord de la route, il croise un homme tenant une chèvre par la barbichette.

Après s’être salués et avoir discuté un peu, l’homme à la chèvre dit à Nils : « J’ai un grand troupeau, laisse-moi ta vache pêteuse et prends ma chèvre en échange. »

Top là, marché conclu. Nils continue sa route, tirant, cette fois, une chèvre au bout d’une corde.

Le voyage est long, et Nils décide de se reposer. A son réveil, sa chèvre ne tient plus sur ses pattes, elle tremblote. Elle est malade. Nils prend sa chèvre dans ses bras et marche un peu. Mais je ne sais pas si vous avez déjà marché avec une chèvre dans les bras, et bien c’est épuisant.

A la première maison, il s’arrête pour demander un remède pour sa chèvre. La femme qu’il rencontre lui dit : « Laisse la donc. Dans quelques jours, il n’y paraîtra plus ».

Nils lui dit que quelques jours, c’est trop à attendre. Alors la femme lui glisse un coq sous le bras en lui disant : « Je t’échange ta chèvre contre mon coq. » Top là, marché conclu. Nils continue sa route.

Mais il a faim. Depuis son départ, il n’a rien mangé. Il hésite. Il pourrait manger son coq, mais il a l’air trop osseux. Il s’arrête dans une auberge pour échanger son coq contre un bon repas. Il ressort de l’auberge les bras chargés de victuailles. Il cherche un endroit agréable pour casser la croûte. Il s’approche d’un bosquet de bouleaux nains lorsqu’il croise le regard d’un vieillard. Si lui, Nils, n’a rien mangé depuis plusieurs jours, cet homme, assurément, n’a rien mangé depuis plusieurs semaines. Sans hésiter, Nils lui offre son repas et rentre chez lui, le cœur léger.

En reconnaissant le pas de Nils sur la neige, Kari sort du lavu et lui saute au cou.

« Alors, que rapportes-tu ? » lui demande-t-elle.

« Et bien », dit Nils « cette année je n’ai pas vendu le renne. Je l’ai échangé contre un cheval… »

« Merveilleux ! » dit sa femme. « Un cheval nous sera bien utile ».

« … cheval que j’ai échangé en route contre une vache … » poursuit Nils

« Une vache. Quelle riche idée. Grâce à son lait, nous aurons du bon fromage ! » renchérit Kari.

« … que j’ai échangé à son tour contre une chèvre … »

« Mon rêve ! Les fromages de chèvre sont bien meilleurs que ceux de vache. »

« … laquelle chèvre est restée dans une ferme en échange d’un beau coq… »

« …qui chantera pour nous, tous les matins. Ainsi, lors de la longue nuit, plus de soucis de réveil. » termine sa femme.

« Oui », dit Nils « mais j’avais faim et le coq, je l’ai échangé contre un bon repas… »

« Et tu as eu raison. On ne peut rien faire le ventre vide. » assure-t-elle.

« Ce repas, je ne l’ai pas mangé. Un vieillard en avait plus besoin que moi. » dit Nils

« Et bien, Nils », dit Kari, « je suis fière de toi. J’aurai fait tout de même. » Et tendrement, elle entraîne son homme dans le lavu.

Le lendemain matin, Nils et Kari sont réveillés par le chant du coq. Etrange.

En sortant du lavu, Nils remarque les premiers rayons du soleil. Puis, en face de lui, il voit un cheval, une vache, une chèvre avec, sur son dos, un coq et, scintillant dans les premiers rayons du soleil, sur le sol, une pièce en or.

Kari, qui a rejoint Nils, lui demande : « Mais qui était ce vieillard à qui tu as offert ton repas ? »

Cette histoire, elle nous vient du grand nord norvégien, de Laponie, et tout s’est passé comme je vous l’ai conté.

Croyez-moi, ne me croyez pas, c’est comme il vous plaira. Mais si vous ne me croyez pas, sachez que demain, il neigera.

Guillaume, pour ses amis du Nord.

Rédigé par Guillaume Bondi

Publié dans #Contes

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